Healthcare Policy
Territorial Translation of the National Health and Nutrition Program in Midi-Pyrénées, France
Abstract
Inspired by the Hygienist Movement, which associates good health with regular, moderate exercise, the National Health and Nutrition Program identifies a lack of physical activity as a risk factor for many chronic diseases. As such, the Program encourages people to take care of their bodies by inciting a moral obligation to develop a physically active lifestyle and follow a healthy diet. With the overall goal of improving the health of the population by acting on nutrition, the Program focuses on primary prevention, screening and early treatment of conditions like heart disease, cancer, obesity, osteoporosis and diabetes. As an incentive program developed in keeping with the biopolitical views of the 1970s that saw education as an alternative means to hospitals for achieving good health, the Program is also a good public action tool for controlling costs.
Introduction
Devant composer avec des configurations locales très variées, qu'une sociologie politique de l'action publique sanitaire permet de porter au jour (Hassenteufel 2008; Lascoumes et Le Galès 2007), le Programme national nutrition santé (PNNS) connaît, entre 2001 et 2010, des formes diverses de traduction territoriale (Lascoumes 1996). C'est particulièrement le cas en région Midi-Pyrénées où 14 communes et communautés de communes ont signé la charte « ville active » attestant par ce label leur inscription dans le programme national (Basson et al. 2010). L'activité de traduction à laquelle est confronté localement le PNNS s'apparente ainsi à des processus ambivalents d'appropriation, de bricolage, de négociation et, au bout du compte, de requalification du programme à l'aune de la gouvernance territoriale de l'action publique sanitaire qui prévaut ici et là, selon les différents niveaux d'échelle considérés (Clavier 2007; Loncle 2009). La santé publique locale opérant alors comme une scène commune, les « villes actives du PNNS » constituent autant de « figures urbaines de la santé publique » (Basson et al. 2013; Fassin 1998).
Méthodologie
Réalisée dans le cadre de deux contrats1, la recherche prend appui sur l'analyse des documents produits par les instances sanitaires nationale, régionale, communales et intercommunales et par les réseaux de santé engagés dans le PNNS: textes de lois, rapports publics, articles de presse, communications publiques, rapports d'activités, comptes rendus de réunions, dossiers et plaquettes d'information, sites électroniques… En parallèle, des entretiens semi-directifs ont été réalisés avec six acteurs nationaux, 23 acteurs régionaux et 33 acteurs communaux ou intercommunaux liés au PNNS. Enfin, les 14 collectivités publiques de la région Midi-Pyrénées (dont Toulouse, la métropole) ayant souscrit au programme national ont fait l'objet d'une analyse ethnographique mêlant entretiens, observations et observations participantes en vue de dégager le mode de gouvernance sanitaire propre à chaque terrain empirique (Haschar-Noé et al. 2010).
Traditionnellement, en France, la mise en œuvre de l'action publique sanitaire obéit à une logique de « régionalisation » (Jabot et Demeulemeester 2005). Niveau pertinent de la gestion et de l'organisation du système de santé français (Bourdillon 2005; Coldefy et Lucas-Gabrielli 2008), l'échelon régional bénéficie de la déconcentration de la programmation et de la planification en matière de santé et constitue le terrain privilégié d'application des plans nationaux. Si le processus de décentralisation initié en 1982 confie des compétences sanitaires limitées aux différentes collectivités territoriales que sont les communes, les départements (via les conseils généraux) et singulièrement les régions (via les conseils régionaux), le cadre régional n'en est pas moins progressivement devenu le lieu de la reconfiguration des rapports entre acteurs institutionnels nationaux et acteurs non étatiques mobilisés localement. Soumis à un processus de construction de nouvelles significations et à des configurations d'acteurs spécifiques régentant la production d'accords localisés sur le sens des actions à mener en son sein, le PNNS fait ainsi l'objet, en Midi-Pyrénées, d'appropriations fortement différenciées. De telle façon que la temporalité de sa mise en œuvre (développée dans une première partie) et les conditions régionales de la signature de la charte « ville active » (présentées dans une seconde partie) en viennent à illustrer les tensions qui régissent les programmes nationaux et la gouvernance territoriale des dispositifs de santé publique (Simoulin 2007).
Située au sud-ouest de la France et regroupant 2,8 millions2, la région Midi-Pyrénées présente une espérance de vie (de 84,8 ans pour les femmes et de 79 ans pour les hommes) parmi les plus élevées du pays. De même, la prévalence de l'obésité contre laquelle le PNNS entend lutter prioritairement est, en 2009, de 13,6 % dans la région contre une moyenne nationale de 14,5 %3. Toutefois, la progression de 74,4 % du taux d'obésité, entre 1997 et 2009, en Midi-Pyrénées (contre + 70,6 % pour l'ensemble du pays) intime d'autant plus les acteurs publics à agir que les jeunes enfants sont les plus touchés.
Les deux temps de la mise en œuvre régionale du PNNS
Les modalités territoriales d'appropriation et de mise en œuvre du PNNS en Midi-Pyrénées diffèrent selon la temporalité du programme. En effet, à chacune des étapes du PNNS 1 (2001 – 2005) et du PNNS 2 (qui lui succède entre 2006 et 2010) correspond une dynamique de « découplage » (Grossetti 2004) allant s'accentuant entre niveaux de gouvernement: du national au régional pendant la première période, puis du régional au communal (ou à l'intercommunal) dans le deuxième temps (Haschar-Noé et Basson 2010).
Le PNNS 1: une conception décloisonnée, experte et localisée de la santé publique
Lancé le 31 janvier 2001, le PNNS inaugure une politique préventive de santé publique dont l'objectif général est d'améliorer l'état sanitaire de la population en agissant sur l'un de ses déterminants majeurs: la nutrition, entendue comme la combinaison d'une alimentation saine et de la pratique régulière d'activités physiques (Hercberg et Tallec 2000). Confiée par la circulaire du 9 janvier 2002 du Ministère de la santé aux Directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS)4, la phase initiale de sa mise en œuvre s'organise, en Midi-Pyrénées, autour d'une configuration resserrée d'acteurs publics et hospitaliers concernés au premier chef par les priorités affichées par le programme national et regroupés au sein d'un comité technique régional nutrition santé (CTRNS) créé pour l'occasion.
Chargé de susciter, de coordonner et d'animer les programmes d'actions régionaux du PNNS, le CTRNS est alors placé sous la présidence d'une professeure de pédiatrie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse. Membre du service de pédiatrie, d'endocrinologie, de génétique et de gynécologie médicale de l'Hôpital des enfants et particulièrement sensible à la dimension nutritionnelle du programme, elle crée, en 2003, le réseau de prévention et de prise en charge de l'obésité pédiatrique (RéPPOP) de Midi-Pyrénées. Trouvant appui auprès d'un professeur de physiologie du CHU de Toulouse, chef du service d'exploration de la fonction respiratoire et de la médecine du sport de l'Hôpital Larrey, le comité technique régional entreprend également de lutter contre la sédentarité. En effet, initiateur du réseau pour la santé par l'effort et la forme en Midi-Pyrénées créé en 2005, ce président de la Société Midi-Pyrénées de médecine du sport milite pour la prescription d'activités physiques et sportives aux personnes sédentaires atteintes de pathologies chroniques.
Ainsi la gouvernance territoriale du dispositif de santé publique élaborée par le comité s'organise-t-elle, dans les premières années (2001 – 2005), autour de trois promoteurs régionaux dominants: la DRASS et ses partenaires institutionnels (l'Union régionale des caisses d'assurance maladie et la Caisse primaire d'assurance maladie), les services déconcentrés d'autres ministères et plus particulièrement ceux en charge de la jeunesse scolarisée (Jeunesse et sports, Education nationale) et, surtout, les services du CHU de Toulouse. Dirigé par des médecins jouissant d'un fort ancrage local et d'une expertise reconnue nationalement (Schweyer 2004), le CTRNS sollicite prioritairement les réseaux de santé que ces derniers coordonnent et sélectionne deux des neufs objectifs proposés par le PNNS: la prévention de l'obésité infantile et la lutte contre la sédentarité qui constituent le cœur de l'activité professionnelle des deux médecins en question. Cette traduction territoriale du premier PNNS atteste un découplage entre niveau national et régional, le travail de mobilisation et d'enrôlement des acteurs publics et privés mené par ces réseaux s'apparentant à une conception décloisonnée, experte et localisée de la santé publique.
Le PNNS 2: une configuration régionale hétéroclite et éclatée de la santé publique
La mise en place, en 2006, du Groupement régional de santé publique ouvre le deuxième temps du PNNS (2006 – 2010) et change radicalement la donne, le RéPPOP ne bénéficiant plus de la position centrale qu'il occupait auparavant au sein du comité technique régional. Un groupe thématique « nutrition et activité physique » lui est substitué et son pilotage confié directement à la DRASS. Réduit à une quinzaine de personnes, contre une cinquantaine dans l'instance précédente, il voit ses capacités de délibération, d'impulsion et de promotion des objectifs prioritaires du PNNS auprès des acteurs locaux se limiter fortement et ses modalités pratiques de travail changer radicalement: perdant ses qualités de rouage stratégique, décisionnel et volontariste, il devient un appareil administratif de contrôle, de validation et d'évaluation d'une myriade de projets de nature et de portée très variables et tente de coordonner une multitude d'acteurs divers dessinant une configuration régionale hétéroclite et éclatée. Le PNNS 2 se caractérise, en effet, par une multiplication et une diversification des acteurs engagés dans le programme en Midi-Pyrénées. On note, en premier lieu, une augmentation très sensible du nombre de communes et communautés de communes signataires de la charte « ville active » du PNNS pendant sa deuxième phase: les deux premières d'entre elles avaient procédé à la signature en 2005 (soit l'ultime année du PNNS 1), douze ont fait de même depuis 2006. L'apparition de nouveaux programmes publics se réclamant plus ou moins du PNNS et lui faisant potentiellement concurrence est également à relever. De nombreuses initiatives à mettre à l'actif des organes déconcentrés du Ministère de jeunesse et sport (le plus souvent en collaboration avec le mouvement sportif) alimentent ainsi de nouvelles propositions visant à prévenir et à lutter contre l'obésité et la sédentarité. De même, la mise en place des programmes régionaux de l'offre alimentaire par le Ministère de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche (MAAP) contribue également à brouiller les frontières du PNNS 2.
Enfin, le mouvement mutualiste, l'industrie pharmaceutique et les groupements professionnels issus des filières agroalimentaires sont quelques-uns des nombreux nouveaux acteurs privés entrant également dans le jeu de la gouvernance sanitaire territoriale. À ce dernier titre, la région Midi-Pyrénées présente la singularité de voir se développer une traduction économique et touristique (voire culturelle) du PNNS 2: constituant un pôle économique majeur, l'agriculture et l'industrie agroalimentaire régionales intègrent, en effet, le programme national en mettant l'accent sur la nécessaire éducation gustative des jeunes générations afin de garantir et de promouvoir le patrimoine gastronomique local. Via le PNNS 2, les enjeux de santé publique en viennent ainsi à croiser des considérations de développement économique, de promotion des produits régionaux, d'attractivité touristique et de sauvegarde patrimoniale. Cette extrême diversité des traductions territoriales du programme rend alors illusoire toute prétention à l'harmonisation des actions envisagées dans ce cadre à l'échelle de la région. Les coordinations entre acteurs régionaux, mais aussi entre ces derniers et les acteurs infrarégionaux, apparaissent de fait plus contingentes et moins durables dans la deuxième étape de mise en œuvre du programme national qu'elles ne l'étaient à l'origine.
Les conditions régionales de la signature de la charte « ville active » du PNNS
Les 14 communes et communautés de communes signataires de la charte « ville active » en Midi-Pyrénées attestent également les modes d'appropriation, de mise en œuvre et de coordination contrastés dont le PNNS fait l'objet localement ainsi que les conceptions variables de la santé publique dont ils sont porteurs.
LA DIVERSITé DES MODES D'APPROPRIATION ET DE MISE EN œUVRE
Malgré un intérêt tardif manifesté à l'endroit du programme national, la région fait preuve d'un certain dynamisme en affichant un taux de couverture de la population de l'ordre de 24 %, contre 14,5 % à l'échelle nationale. Cependant de fortes disparités entre communes urbaines et rurales (ces dernières étant le plus souvent engagées dans le programme « Un fruit à la récré » proposé par le MAAP5) et entre les différents départements de la région marquent une traduction locale fortement différenciée du PNNS. La signature de la charte concerne essentiellement des communes situées en milieu urbain et deux départements en priorité: la Haute-Garonne et le Tarn totalisent villes signataires à eux deux, quand l'Aveyron, le Gers, le Lot et le Tarn-et-Garonne comptent chacun une seule « ville active » et aucune pour l'Ariège et les Hautes-Pyrénées.
De plus, les communes et communautés de communes signataires de Midi-Pyrénées affichent certaines singularités marquantes qui les distinguent des « villes actives » d'autres régions: elles pratiquent un moindre cumul d'adhésions à d'autres programmes concurrentiels au PNNS, ménagent une place importante aux actions de promotion de l'activité physique, nouent fréquemment des partenariats avec des associations interprofessionnelles et des entreprises locales, impliquent fortement les services de restauration collective et, enfin, mettent l'accent sur le secteur de la petite enfance (de zéro à cinq ans). Si la jeunesse scolarisée (surtout en écoles primaires et en centres de loisirs), les personnes âgées (essentiellement en maisons de retraite), les femmes enceintes, les habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville et les populations précaires sont également pris en considération par les différentes communes et communautés de communes souscrivant au PNNS, la signature de la charte constitue un levier d'action permettant à la collectivité publique de rendre visible son engagement en faveur de la santé des populations en recourant à un label unique et considéré, le plus souvent, comme valorisant.
La « caution PNNS » ne doit toutefois pas masquer la grande diversité des actions mises en œuvre à l'échelle de la région Midi-Pyrénées, l'éventail des possibles étant conditionné par les ressources humaines et matérielles localement mobilisables et par les traductions territoriales du programme ayant cours ici et là. Ainsi les dominantes privilégiées par le PNNS (alimentation, activité physique et nutrition) sont-elles inégalement réparties sur le territoire régional. Majoritaires, les actions portant sur le versant alimentaire constituent la « porte d'entrée » dans le programme dont elles incarnent, d'une certaine façon, le premier niveau de lecture. Ces dernières se déroulent de façon continue quand elles sont mises en œuvre par les services de restauration collective et de façon ponctuelle par l'organisation de manifestations telles que « La semaine du goût », « Mouv'eat » ou « Fraich'attitude »6. Les actions développant le volet physique et sportif du PNNS sont moins fréquentes et visent en général à lutter contre la sédentarité et à promouvoir une pratique physique régulière auprès des jeunes, parfois de leurs parents, des personnes âgées ou du grand public. Enfin, les actions à dominante nutritionnelle, c'est-à-dire combinant alimentation et activité physique au sens donné par le PNNS, sont plus rares, les acteurs de terrain faisant mal la différence entre nutrition et alimentation.
De même, les caractéristiques professionnelles et organisationnelles présentées par les promoteurs locaux des actions préconisées par le PNNS illustrent à nouveau la diversité des modes de mise en œuvre du programme national qui prévalent en Midi-Pyrénées. Le plus souvent constitués d'un duo élu-technicien territorial ou directeur de service, voire d'un trio quand une diététicienne est sollicitée, ces acteurs stratégiques à l'échelle locale attestent la grande variété des délégations des élus et des services labellisés « référents PNNS ». Ainsi huit des 14 communes et communautés de communes signataires de la charte ont-elles chargé des techniciens et des directeurs de services de mettre en œuvre le programme sur leur territoire: quatre proviennent des services de la restauration collective, deux des services de santé, un du service des sports, le dernier étant directeur général des services. De même, les six élus en charge du PNNS dans les communes restantes sont respectivement délégués à la santé (pour deux d'entre eux), aux affaires sociales (pour deux autres), les deux derniers se partageant, d'une part, une délégation à la jeunesse, au sport et aux loisirs et, d'autre part, une délégation aux relations avec les associations.
UNE TYPOLOGIE DES MODES DE COORDINATION
Le faible niveau de contrainte imposé par la signature de la charte dans la mise en œuvre locale du PNNS explique la variété des actions proposées et des formes pratiques de leur concrétisation. Il en va de même pour les modes de coordination entre les acteurs et les ressources, internes et externes à la collectivité, qu'ils mobilisent. Ainsi quatre différentes modalités de coordination interne président à la traduction territoriale du programme en Midi-Pyrénées: la forme intégrée se caractérise par une coordination intersectorielle, une action publique transversale et la constitution d'un comité local de pilotage du PNNS; la forme centralisée voit un secteur d'intervention (les services de la restauration collective, des sports, de la santé, de l'éducation ou de l'action sociale…) prédominer et orienter fortement le contenu du PNNS en local; la forme diffuse consiste, pour sa part, en des arrangements faiblement formalisés entre acteurs et en des actions non pérennisées; enfin, la forme éclatée présente une coordination entravée par des relations d'indifférence voire des conflits ouverts opposant plusieurs porteurs locaux se réclamant du PNNS et débouchant sur des mises en œuvre contradictoires du programme national à l'échelle de la commune ou de la communauté de communes.
Cette typologie est affinée par la mise au jour de deux modalités de coordination externe rendant compte de l'hétérogénéité des processus de mise en œuvre du PNNS en Midi-Pyrénées. Ainsi la forme ouverte différencie-t-elle les collectivités signataires de la charte « ville active » en capacité de mobiliser entre quatre et neuf partenaires extérieurs au territoire communal (ou intercommunal) et appartenant à des secteurs d'action différents (relevant le plus fréquemment des domaines sanitaire et médical, agroalimentaire, sportif et éducatif) de celles disposant de peu de ressources de proximité mobilisables et jouissant d'une faible connaissance des réseaux et des institutions publiques susceptibles de les soutenir. Cette forme autarcique de coordination externe est propre à des collectivités de taille démographique modeste, géographiquement éloignées de Toulouse, la métropole régionale, et dont l'implication locale dans le PNNS est récente.
DEUX CONCEPTIONS VARIABLES DE LA SANTé PUBLIQUE
Les communes et communautés de communes signataires de la charte en Midi-Pyrénées accusent une dernière singularité témoignant des traductions différenciées du PNNS en région. Celle-ci tient à la dimension cognitive soutenant deux conceptions variables de la santé publique et orientant sensiblement différemment l'action publique locale de prévention sanitaire. Ainsi une première conception, très majoritairement présente au sein des collectivités souscrivant au plan national, développe les préceptes de l'éducation pour la santé selon lesquels les programmes préventifs doivent s'adresser en priorité aux individus et groupes sociaux désignés comme « à risques » pour les convaincre d'adopter de « bons comportements alimentaires et des pratiques physiques saines ». L'action publique de prévention sanitaire consiste alors, selon une logique normative et prescriptive, à assurer la diffusion la plus large possible des messages du PNNS par les instruments incitatifs, budgétaires et conventionnels mis à disposition. Toutefois, une seconde conception de la santé publique prend résolument le contre-pied de cette orientation dominante et, selon une option militante inspirée des principes de la promotion de la santé (au sens de la Charte d'Ottawa de l'Organisation mondiale de la santé), entend dépasser la seule inculcation de règles de santé et se focaliser sur les inégalités sociales et territoriales de santé engendrées par les facteurs environnementaux. Reprochant au PNNS son inclinaison moralisatrice, voire son penchant stigmatisant à l'endroit des populations défavorisées, émigrées ou en situation précaire, les partisans de cette voie alternative appellent à la participation des ressortissants (Warin 1999), au développement d'une « démarche communautaire en santé » privilégiant les actions de proximité et à la responsabilisation de tous les citoyens au sein d'une « démocratie sanitaire » à construire (Giraud et Warin 2008).
C'est là l'option de Toulouse7, métropole dans laquelle la traduction du PNNS prend, en effet, la forme d'un « transcodage » au sens où les activités cognitives et les processus de mobilisation et de négociation sur lesquels repose l'action publique sanitaire locale font l'objet d'un profond renouvellement (Lascoumes 1996). Au changement d'échelle territoriale vient ainsi s'ajouter une modification sensible du référentiel de l'action publique sanitaire (Muller 1995). Signataire, le 13 décembre 2006, de la charte du PNNS, la municipalité de Toulouse entend ne pas limiter sa politique de santé publique aux préconisations du plan national et travaille à s'inscrire dans une visée volontariste. Le rapport des acteurs publics de la ville au PNNS est, en effet, critique. Lui est reproché sa relative inadéquation aux demandes sociales les plus urgentes en matière de santé publique, son absence de fondement juridique et son incapacité à générer des moyens supplémentaires. La ville s'engage alors dans la définition et la mise en place d'un plan municipal de santé qui repose sur une approche globale prenant en compte les dimensions physiques, psychologiques, sociales et environnementales et privilégiant les actions de proximité. Il s'agit également de favoriser la participation des habitants à la définition des modalités d'intervention publique qui leur sont prioritairement destinées, de permettre ainsi l'intrusion de la société civile dans le débat public et de veiller à l'intégration des savoir-faire associatifs nés des expertises militantes et profanes dans les programmes locaux d'action publique sanitaire.
Conclusion
Localement située, la construction sociale du PNNS traduit donc les différents modes d'appropriation territoriale dont le programme national est l'objet. La sociologie politique de cette action publique sanitaire rend compte des formes de recomposition empruntées localement par l'État en action qui joue sur le caractère plus ou moins contraignant du cadre normatif qu'il entend faire valoir. Au-delà des préconisations des deux premiers PNNS (et préfigurant, en partie, la troisième période du programme national), c'est alors la question des inégalités sociales, et territoriales, de santé qui domine les enjeux de l'action publique sanitaire locale. Largement partagé et inscrit dans les grands textes fondateurs de la République, « l'objectif est d'améliorer l'état de santé de la population dans son ensemble et de chacun en particulier, quelle que soit son origine ou son appartenance sociale » (Haut conseil de santé publique 2010). En effet, on sait, d'une part, que la détérioration graduelle des indicateurs de santé connaît de fortes disparités territoriales et, d'autre part, que les déterminants de santé ne concernent pas uniquement l'accès aux soins. Éducation, emploi, logement, revenu, patrimoine, modes de consommation ou pratiques culturelles… l'ensemble des paramètres sociaux qui déterminent les conditions de vie propres à un environnement donné, et qui constituent autant de facteurs à risque potentiels, vont s'accumulant tout au long de la vie (le processus est bien rendu par l'épidémiologie biographique: Lang 2010; Lang et al. 2009), jusqu'à faire système. Voyant « une situation sanitaire globale relativement bonne [tolérer] des inégalités sociales de santé particulièrement fortes » (Leclerc et al. 2008; Spira 2010), le « paradoxe français » appelle ainsi un mode d'intervention public à la hauteur des déséquilibres constatés.
Si les stratégies volontaristes mises en place au Royaume-Uni et aux Pays-Bas sont en mesure d'inspirer l'action publique sanitaire française (tant nationale que locale), c'est manifestement du côté du Québec que cette dernière semble se tourner prioritairement. Engagé, depuis 1998, dans un vaste programme de lutte contre les inégalités sociales de santé mêlant les milieux médicaux, politiques et associatifs, le directeur de la santé publique de Montréal indique n'avoir « qu'un seul patient: Montréal » (Direction de la santé publique de Montréal, 1998; Frohlich et al. 2008). « Renforcer la concertation dans les quartiers, outiller les populations locales pour la prise en charge de leurs conditions de vie, intégrer et coordonner l'action des divers intervenants, développer un observatoire et des indicateurs de surveillance des inégalités sociales de santé, c'est ainsi que les acteurs de santé publique de Montréal redéfinissent alors leur pratique » (Potvin 2010) et font figure d'experts auprès des promoteurs du plan municipal de santé de Toulouse.
Toutefois, si l'exercice de sociologisation et d'historicisation de l'action publique sanitaire locale tenté ici présente le mérite de valoriser le volontarisme dont fait preuve la quatrième ville de France en la matière, il témoigne plus fondamentalement du processus général de dérégulation du système de santé français dont les vertus étaient internationalement vantées jusque-là. Comptant parmi les nombreux programmes de prévention primaire impulsés « d'en haut », dans un contexte de réduction drastique de la dépense publique, le PNNS ne dispose pas d'autre moyen que de recourir à l'injonction morale à l'exercice physique d'entretien du corps. Abusant ainsi de la rhétorique de l'auto-responsabilisation par laquelle il est intimé à chacun de se prendre en main et de renoncer à continuellement solliciter une intervention publique aujourd'hui dépourvue de moyens, l'appel à l'estime de soi et le discours récurrent de la mobilisation citoyenne et de l'empowerment ne parviennent pas à masquer le retrait de l'État de la question sanitaire. Reportant la charge sur les collectivités territoriales (dans la confusion de leurs différentes échelles d'action et de la répartition de leurs compétences respectives), le désengagement de l'État donne, en effet, libre cours au jeu des concurrences entre une myriade de fiefs locaux diversement dotés et qui décident, ou non, de mettre la santé à l'agenda public.
La traduction territoriale du Programme national nutrition santé (PNNS) en Midi-Pyrénées, France
Résumé
Inspiré de la tradition hygiéniste reposant sur une représentation du corps qui associe la santé à un exercice physique régulier et modéré, le Programme national nutrition santé (PNNS) instaure la sédentarité comme un des facteurs de risque de nombreuses maladies chroniques. Il participe ainsi du gouvernement des corps et reproduit l'injonction morale à développer un mode de vie physiquement actif conjugué à une alimentation saine. Visant l'amélioration générale de l'état de santé de la population en agissant sur la nutrition, le PNNS est axé sur la prévention primaire, le dépistage et la prise en charge précoce de pathologies telles que les maladies cardiovasculaires, le cancer, l'obésité, l'ostéoporose ou le diabète. Programme incitatif inscrit dans la lignée des biopolitiques qui, durant les années 1970, voient dans l'éducation pour la santé une alternative au tout hospitalier, le PNNS est aussi un instrument d'action publique au service de la maîtrise des coûts.
About the Author(s)
Jean-Charles Basson, Laboratoire Sports, Organisations, Identités, Laboratoire des Sciences sociales du Politique, Institut Fédératif d'Etudes en Recherche Interdisciplinaire en Santé et Société, Université de Toulouse, Toulouse, France
Nadine Haschar-Noé, Laboratoire Sports, Organisations, Identités, Laboratoire des Sciences sociales du Politique, Institut Fédératif d'Etudes en Recherche Interdisciplinaire en Santé et Société, Université de Toulouse, Toulouse, France
Ivan Theis, Service communal d'hygiène et de santé, Ville de Toulouse, Toulouse, France
Correspondance: Pour Jean-Charles Basson et Nadine Haschar-Noé: Faculté des Sciences du sport, Université Paul Sabatier-Toulouse III, 118 Route de Narbonne, 31062 Toulouse, Cedex 9, France. Courriels : jean-charles.basson@univ-tlse3.fr, nadine.haschar-noe@univ-tlse3.fr. Pour Ivan Theis : Servicecommunal d'hygiène et de santé, Ville de Toulouse, 17 place de la Daurade, 31000 Toulouse, France. Courriel : ivan.theis@mairie-toulouse.fr.
References
Basson, J.-C., N. Haschar-Noé et M. Honta. 2013. « Toulouse, une "figure urbaine de la santé publique". » À propos de l'action publique municipale de lutte contre les inégalités sociales de santé. Revue d'épidémiologie et de santé publique 61S2, 81–88.
Basson, J.-C., N. Haschar-Noé et I. Theis. 2010. « Sociologie de la santé et action publique locale. La traduction territoriale du Programme national nutrition santé en Midi-Pyrénées, France. » 2ème conférence biannuelle bilingue de la Société canadienne pour la sociologie de la santé (SCSS), Ottawa, 28–30 octobre.
Bourdillon, F. 2005. « Les territoires de la santé, maillon clé de l'organisation sanitaire. » Revue française d'administration publique 1(113): 139–45.
Clavier, C. 2007. Le politique et la santé publique. Une comparaison transnationale de la territorialisation des politiques de santé publique (France, Danemark). Université de Rennes 1, Thèse pour le doctorat de science politique.
Coldefy, M. et V. Lucas-Gabrielli. 2008. Les territoires de santé: des approches régionales variées de ce nouvel espace de planification. Paris: Institut de recherche et documentation en économie de la santé.
Direction de la santé publique de Montréal. 1998. Rapport annuel sur la santé de la population. Les inégalités sociales de santé. Montréal.
Fassin, D. 1998. « Politique des corps et gouvernement des villes. La production locale de la santé publique » dans
Fassin, D. (dir.). Les figures urbaines de la santé publique. Enquête sur des expériences locales. Paris: La Découverte 7–46.
Frohlich, K., M. De Koninck, A. Demers et P. Bernard (dir.). 2008. Les inégalités sociales de santé au Québec. Montréal: Presses de l'Université de Montréal.
Giraud, O. et P. Warin (dir.). 2008. Politiques publiques et démocratie. Paris: La Découverte, Collection «Recherches/Territoires du politique ».
Grossetti, M. 2004. Sociologie de l'imprévisible. Dynamique de l'activité et des formes sociales. Paris: PUF.
Haschar-Noé, N. et J.-C Basson. 2010. « Sociologie politique de l'action publique de promotion de la santé. La territorialisation des programmes de lutte contre la sédentarité et l'obésité. Le Programme national nutrition santé à Toulouse (Midi-Pyrénées, France), » 78ème congrès international de l'Association francophone pour le savoir (ACFAS), Montréal, 10–14 mai.
Haschar-Noé, N., J.-C.Basson, S. Julhes, L. Malric, F. Merlaud, C. Rolland et P. Terral, 2010. Activité physique, nutrition et santé: la mise en œuvre du Programme national nutrition santé en Midi-Pyrénées, Toulouse, Laboratoire Sports, Organisations, Identités/Institut Fédératif d'Études en Recherche Interdisciplinaire en Santé et Société/Institut national de la santé et de la recherche médicale, Rapport de recherche pour le compte du Conseil régional Midi-Pyrénées.
Hassenteufel, P. 2008. Sociologie politique: l'action publique. Paris: Armand Colin, Collection « U ».
Haut conseil de santé publique. 2010. Les inégalités sociales de santé: sortir de la fatalité, Paris: La Documentation française, Collection « Avis et rapport ».
Hercberg, S. et A. Tallec. 2000. Pour une politique nutritionnelle de santé publique en France. Paris: Rapport pour le Haut Comité de santé publique.
Jabot, F. et R. Demeulemeester. 2005. « Les interactions entre les niveaux national, régional et infrarégional dans les programmes de santé publique. » Santé publique 17(4): 597–606.
Lang, T. 2010. « Inégalités sociales de santé: une construction tout au long du cours de la vie. » Actualité et dossier en santé publique 73: 21–24.
Lang, T., M. Kelly-Irving et C. Delpierre. 2009. « Inégalités sociales de santé: du modèle épidémiologique à l'intervention. Enchaînements et accumulations au cours de la vie. » Revue d'épidémiologie et de santé publique 57: 429–35.
Lascoumes, P. 1996. « Rendre gouvernable, de la traduction au transcodage, l'analyse des processus de changement dans les réseaux d'action publique » in CURAPP, La gouvernabilité. Paris: PUF 325–37.
Lascoumes, P. et P. Le Galès. 2007. Sociologie de l'action publique. Paris: Armand Colin, Collection « 128 ».
Leclerc, A., M. Kaminski et T. Lang. 2008. Inégaux face à la santé. Du constat à l'action. Paris: La Découverte-Inserm.
Loncle, P. 2009. « La mise en œuvre des politiques de santé publique au niveau local: l'animation territoriale en santé en Bretagne. » Sciences sociales et santé 27(1): 5–31.
Muller, P. 1995. « Les politiques publiques comme construction d'un rapport au monde » dans Faure, A., G. Pollet et P. Warin, (dir.). La construction du sens dans les politiques publiques: débats autour de la notion de référentiel. Paris: L'Harmattan 153–79.
Potvin, L. 2010. « Le Québec innove pour la réduction des inégalités sociales de santé. » Actualité et dossier en santé publique 73: 45–46.
Schweyer, F.-X. 2004. « Les territoires de la santé et la médecine libérale. Les enjeux d'une convergence. » Lien social et politique 52: 35–46.
Simoulin, V. 2007. « La gouvernance territoriale: dynamiques discursives, stratégiques et organisationnelles » dans Pasquier, R., V. Simoulin et J. Weisbein (dir.). La gouvernance territoriale. Pratiques, discours et théories. Paris: LGDJ, Collection « Droit et société » 15–32.
Spira, A. 2010. « Recherche et inégalités sociales de santé. » Actualité et dossier en santé publique 73: 51–52.
Warin, P. 1999. « Les ressortissants dans les analyses des politiques publiques. » Revue française de science politique 49(1): 103–20.
Footnotes
1. Placés sous la direction de Nadine Haschar-Noé, le premier (Sport et santé publique, sociologie politique des programmes de lutte contre la sédentarité) est financé par l'Institut de recherche en santé publique, le second (Activité physique, nutrition et santé: la mise en œuvre du Programme national nutrition santé en Midi-Pyrénées) par le Conseil régional de Midi-Pyrénées.
2. Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques en 2009.
3. Les données sanitaires sont extraites de: Observatoire régional de la santé de Midi-Pyrénées, 2009, La santé observée en Midi-Pyrénées. Faits marquants. Surpoids et obésité, Toulouse, ORSMIP.
4. Services déconcentrés de l'État, les DRASS, remplacées depuis juillet 2009 par les agences régionales de santé (ARS), se voient confier la mission de relayer les objectifs, principes et repères des programmes de santé sur les territoires et de susciter la participation des acteurs locaux dans une perspective de construction collective de l'action publique sanitaire. À ce titre, elles sont chargées d'organiser l'animation et le pilotage d'un partenariat multi-niveaux avec les acteurs publics et privés intéressés.
5. Visant à modifier les habitudes alimentaires des enfants et des adolescents, le programme consiste, depuis 2009, en une distribution gratuite, hebdomadaire et hors restauration scolaire de fruits (des pommes, le plus souvent) dans les écoles, les collèges et les lycées.
6. Inaugurée en 1990 par un critique gastronomique, « La semaine du goût » promeut une éducation gustative (prioritairement auprès des responsables de restauration collective et des enfants des écoles) visant à combiner plaisir, patrimoine culinaire et comportements alimentaires favorables à la santé. Par ailleurs, depuis 2007, le programme « Mouv'eat » défend, par des journées d'animation ponctuelles, une définition de la nutrition conjuguant alimentation équilibrée et activité physique régulière. Enfin, par la « Fraich'attitude », l'association interprofessionnelle de la filière des fruits et des légumes frais incite, depuis 2005, les enfants à « découvrir ou redécouvrir » ses produits.
7. Chef-lieu de la région Midi-Pyrénées, du département de la Haute-Garonne et quatrième ville de France avec 439 453 habitants, Toulouse connaît, depuis les années 1990, la plus forte croissante démographique du pays.
Comments
Be the first to comment on this!
Personal Subscriber? Sign In
Note: Please enter a display name. Your email address will not be publically displayed