Healthcare Policy, 10(2) November 2014: 79-89.doi:10.12927/hcpol.2015.24045
Rapport De Recherche
Trois types de stratégies des fabricants pour la fidélisation aux médicaments de marque
Marie-Claude Prémont and Marc-André Gagnon
Abstract
La restructuration de l'industrie pharmaceutique a mené au développement de trois nouveaux types de stratégies commerciales pour la fidélisation de différentes cohortes de patients à des médicaments: la fidélisation par le rabais, par l'accompagnement et par la compassion. La fidélisation par le rabais vise à maintenir les traitements au produit de marque et décourager la substitution au produit générique. La fidélisation par l'accompagnement est basée sur une offre des services de suivi et d'accompagnement à domicile et par téléphone afin d'encourager les patients à adopter un traitement puis d'en améliorer l'observance. Enfin, l'industrie offre des programmes de compassion où les patients peuvent recevoir des traitements avant même que le médicament ne soit généralement disponible ou remboursé par son assureur. Dès que le médicament (le plus souvent très dispendieux) est inscrit à la liste des médicaments remboursés, le manufacturier met fin au programme de compassion et bénéficie d'une importante cohorte de patients déjà sous traitement.
L'impact de ces programmes sur les politiques publiques et les droits des patients soulève de nombreuses préoccupations, au nombre desquelles figurent au premier plan l'accès direct du fabricant au patient et ses données de santé et la pression à la hausse sur les coûts de l'assurance-médicaments.
Introduction
Contexte général
L'industrie pharmaceutique de médicaments novateurs1 est en profonde restructuration et ses pratiques de promotion du médicament en mutation. La convergence assez unique de fin de brevet de plusieurs médicaments vedettes dits « blockbusters » (générant un revenu supérieur à 1 milliard $ par année) sur une courte période de temps2, affecte une très grande part des revenus de l'industrie. De plus, contrairement aux décennies précédentes, l'industrie pharmaceutique ne dispose pas suffisamment de nouveaux médicaments novateurs en réserve pour prendre le relais. Un rapport d'enquête de la Commission européenne identifiait dès 2008 ces deux phénomènes comme étant à la source d'une restructuration importante de l'industrie pharmaceutique et comme cause de la mise en place par les fabricants de nouvelles stratégies, notamment pour prolonger la durée de vie de leurs médicaments vedettes arrivés en fin de course (European Commission 2008). Réagissant à son environnement, l'industrie pharmaceutique remodèle ses stratégies industrielles, mais aussi de commercialisation des médicaments (Abecassis et Coutinet 2008 et 2009).
Même si la valeur commerciale d'un brevet ne prend pas fin dès l'expiration du brevet (Hudson 2000), les fabricants s'ajustaient à la réduction importante de leurs ventes, quoique graduelle, en présence de la concurrence des génériques (Avorn 2011). En effet, l'introduction à un prix inférieur des médicaments génériques bio-équivalents permet la substitution graduelle du médicament, se traduisant par des économies significatives pour les patients et leurs assureurs. L'industrie aurait maintenant décidé de modifier sa stratégie face à son nouvel environnement.
Objet de l'article
L'Ordre des pharmaciens du Québec nous a mandatés pour préparer et animer une journée de discussion tenue à Montréal le 27 novembre 2013 avec les principaux intervenants québécois du domaine de la santé et des médicaments, portant sur les stratégies de fidélisation de l'industrie pharmaceutique. Afin d'embrasser un cadre plus large que celui du Québec et mieux cerner les ressorts internationaux et systémiques du phénomène, nous avons fait une revue de la littérature sur les programmes de fidélisation au Canada, aux États-Unis et en France. Au-delà des publications académiques, nous avons incorporé à notre analyse divers documents gouvernementaux, corporatifs et promotionnels du Canada, publiés sur le web ou remis par l'Ordre. Nous présentons ici les premiers résultats de cette analyse sous la forme d'une typologie des principaux mécanismes de fidélisation mis en œuvre par l'industrie pharmaceutique. Le but est de distinguer trois types de stratégies qui, chacune à leur façon, visent à fidéliser des cohortes de patients à la prise de certains médicaments. Nous présentons ces trois stratégies, en identifiant le contexte et le type de produit visé, les mécanismes de fonctionnement de la stratégie et les principales critiques formulées.
Des stratégies commerciales de fidélisation
Les médicaments viennent au deuxième rang des coûts de santé au Canada et au Québec, après les hôpitaux et avant les médecins. Le secteur du médicament est le seul de ces trois principaux segments dont le marché est mondialisé, directement soumis à des forces déployées à l'échelle internationale (OCDE 2008; Schoonveld 2011). Ainsi, les mesures de contrôle des coûts des médicaments mis en place par les pouvoirs publics sont particulièrement vulnérables aux stratégies commerciales de la grande industrie pharmaceutique.
Les fabricants de médicaments ont toujours usé de stratégies pour maximiser la valeur de leurs brevets (Pearce 2006), mais l'industrie a quelque peu modifié ses pratiques au cours des dernières années. En plus des stratégies promotionnelles traditionnelles comme les visites chez le médecin, la remise d'échantillons, ou les rencontres promotionnelles (Gagnon et Lexchin 2008), les fabricants déploient de nouvelles stratégies en offrant aux patients un rabais, un service, une assistance, ou encore un médicament à titre gracieux non encore disponible surle marché.
L'observation des stratégies implantées à l'échelle internationale (Canada, États-Unis et France) nous permet de constater que les stratégies présentent des points communs tout en s'adaptant aux différents contextes règlementaires et assurantiels. La stratégie de fidélisation s'ajuste au statut du médicament sur le territoire de distribution et aux conditions de sa prise en charge par l'assureur.
Pour maintenir ou hausser leurs ventes ou encore percer le marché des médicaments, les fabricants usent de stratégies commerciales que nous distinguons en trois types. Une première stratégie vise à maintenir les patients sur des médicaments d'origine dont le brevet est échu, et ce malgré l'entrée de génériques sur le marché: il s'agit de la fidélisation par le rabais. Un deuxième type oriente les patients et les professionnels de la santé vers un traitement particulier en concurrence avec d'autres produits également sous protection de brevet, en offrant des services d'appoint ou de gestion de soins: il s'agit de la fidélisation par l'accompagnement du patient. Enfin, un troisième type se met en place pour des médicaments qui ne sont pas encore reconnus par les autorités publiques pour fins de remboursement et dont le prix peut parfois atteindre des sommes colossales. Les fabricants proposent alors des programmes de compassion qui permettent au patient d'obtenir le médicament à titre gracieux ou à prix fortement réduit. Il s'agit de la fidélisation par la compassion.
Nous allons reprendre chacune de ces stratégies afin d'en présenter les principales caractéristiques, sachant que davantage de recherche sera nécessaire pour mieux identifier les contours. On observe que la documentation est plus importante pour la stratégie par le rabais, et ce, surtout aux États-Unis. Les deux autres types de stratégies sont encore peu documentés.
La fidélisation par le rabais: les médicaments en fin de course
Le contexte et le produit visé
La stratégie de la fidélisation par le rabais est une conséquence directe de la fin du brevet de nombreux médicaments vedettes. Les fabricants tentent de convaincre les patients de poursuivre la prise du produit de marque au lieu de transférer leur médicament au générique. Les médicaments visés par ces programmes présentent deux caractéristiques: ils sont largement prescrits par les médecins et leur brevet est échu (ou le sera sous peu).
Sans surprise, c'est dans le plus grand marché mondial du médicament que les fabricants ont d'abord mis en place les programmes de fidélisation par le rabais. La stratégie vise essentiellement à convaincre le patient à prendre le produit de marque en le remboursant de sorte que l'original ne lui coûte pas plus cher que la copie.
La forme des programmes: l'expérience américaine et canadienne
La fidélisation par le rabais s'insère toujours dans le marché des assurés. Il est important de distinguer la fidélisation traitée ici des formes caritatives d'assistance offertes par l'industrie pharmaceutique aux États-Unis pour les segments de population qui ne disposent d'aucune assurance médicaments (Chauncey et al. 2006; Chisholm et DiPiro 2002; Felder Palmer et al. 2011).
Les programmes américains de fidélisation par le rabais, comme les programmes canadiens, s'adressent aux personnes qui détiennent une assurance-médicaments. Ils se présentent sous la forme de cartes de co-paiement ou de coupons, appliqués pour réduire le coût direct d'acquisition du médicament de marque. L'adhésion au programme réduit le coût de co-assurance du patient au montant équivalent pour le médicament générique. La stratégie vise toujours à inciter le patient (et le professionnel de la santé) à ne pas y substituer le produit générique (Choudhry et al. 2009).
Une grande part du coût supplémentaire induit par la prise du médicament de marque est toutefois transférée à l'assureur, par le jeu conjugué de la réglementation et des contrats d'assurance. Prenons l'exemple fictif du patient dont l'assurance rembourse 80 % du coût du médicament. Il est placé devant l'option offerte par un programme de fidélisation par le rabais, avec un médicament d'origine de 100 $ pendant que le générique se vend 30 $. Sans programme, le patient qui opte pour le générique paie 6 $ de co-assurance, tandis qu'il doit débourser 20 $ pour obtenir le produit de marque. Le programme de rabais intervient en lui offrant de payer la différence de co-assurance entre les deux produits, c'est-à-dire 14 $ (20 $ moins 6 $), afin de lui procurer le médicament de marque. Le mécanisme se répercute par contre sur l'assureur qui doit assumer la plus grande part de l'accroissement de coût, soit 80 % du produit de marque au lieu du générique. Ceci représente pour l'assureur une augmentation de coût de 56 $ (80 $ moins 24 $). La firme qui met en place un tel programme n'assume que 14 $, pendant qu'elle répercute un coût additionnel de 56 $ à l'assureur.
La distribution des cartes de co-paiement au Canada peut prendre trois voies: le médecin, le pharmacien, ou directement sur un portail web. Introduits d'abord sous la forme de programmes mis de l'avant par chacun des fabricants, les programmes font maintenant l'objet de regroupements importants sous le parapluie d'entreprises qui en assurent la gestion. Ces regroupements auprès d'une entreprise tierce permettent de faciliter la gestion et d'accélérer la diffusion des programmes. Le regroupement vise aussi à réduire les appréhensions face à la communication directe au fabricant de renseignements personnels sensibles sur la santé des patients. Il sert aussi à aplanir la complexification du processus de remboursement en uniformisant les procédures.
Deux grands regroupements sont disponibles au Canada: la carte InnoviCares, gérée par l'entreprise STI de la Nouvelle-Écosse qui regroupe sous une même carte près de 100 produits différents, et le groupe RxHELP, géré par l'entreprise Cameron Stewart LifeScience de Mississauga en Ontario qui offre au Québec plus de 34 produits.
Critiques
Les programmes de fidélisation par le rabais se sont d'abord fait connaître sur le marché des statines en raison des chiffres records de vente que tentaient de sauvegarder les fabricants (Avorn 2011). Une étude publiée en 2012 souligne que les fabricants touchés (Pfizer pour le Lipitor, Merck pour le Zocor et AstraZeneca pour le Crestor) rivalisent d'ingéniosité pour tenter de prolonger au maximum la durée de vie de leur médicament en fin de cycle (Jackevicius et al. 2012). Les auteurs concluent que les énormes économies anticipées pour le système de santé américain avec l'arrivée des produits génériques sont susceptibles d'être sérieusement compromises, à moins d'une réaction vigoureuse des parties prenantes.
Les répercussions énormes sur les budgets de santé ont été relevées et les programmes ont été vigoureusement dénoncés par des universitaires comme contraires à l'intérêt public puisque, même en réduisant le coût direct d'acquisition du patient, ils augmentent de manière injustifiée les coûts de santé du système, sans bénéfice sanitaire (Grande 2012; Ross et Kesselheim 2013).
Les auteurs ont aussi souligné que la promotion de la fidélisation aux médicaments d'origine était contraire aux principes de santé publique en dévalorisant aux yeux du public et des professionnels de la santé la bioéquivalence des médicaments génériques (Grande 2012).
La stratégie impose à terme la hausse des primes d'assurance afin d'absorber les hausses de coûts. Pendant que le fabricant fait cadeau d'un rabais au patient, il refile le plus gros de la note à l'assureur et à terme, à l'ensemble des assurés. Le caractère insidieux des conséquences économiques de la fidélisation par le rabais fait partie de sa raison d'être. Dès qu'il devient impossible au fabricant de transférer les coûts sur l'assureur, en raison de l'adoption de mesures de protection (lorsque l'assureur peut le faire), il réduit ou met abruptement fin à son programme de fidélisation3.
La stratégie exige la collaboration étroite des professionnels de la santé (le médecin prescripteur ou le pharmacien délivreur), ce qui soulève d'importantes questions déontologiques quant à la participation professionnelle à un programme commercial de l'industrie. La transmission par le pharmacien des données nécessaires au paiement partiel de la prescription par l'industrie pharmaceutique pose également d'importantes questions quant à la protection des renseignements personnels des patients et au respect du secret professionnel.
La fidélisation par l'accompagnement: les traitements complexes
Le contexte et le produit visé
Plusieurs options peuvent parfois se présenter pour traiter une même condition médicale. Le choix de traitement se fait alors entre médicaments différents, souvent tous sous protection de brevet, mais dont le principe actif ou la méthode d'application se distingue. Des programmes sont alors mis en place pour promouvoir un produit ou un traitement par rapport à ses concurrents.
La forme des programmes: l'expérience française
Pour mettre en valeur son produit, le fabricant peut élaborer une stratégie servant à guider et diriger le patient (ainsi que le professionnel de la santé) vers son produit. La stratégie propose d'accompagner le patient dans son traitement, en le renseignant sur sa maladie et ses effets, en lui offrant une formation à l'usage du médicament, un service d'écoute et des conseils de santé. En somme, le programme propose au patient un suivi à caractère médical ou infirmier. L'observance au traitement est l'un des principaux bénéfices mis de l'avant par certains programmes. La firme reconfigure ainsi son statut de fabricant et vendeur de médicaments pour adopter celui de la vente d'un « bénéfice thérapeutique dans le cadre de ces bonnes pratiques » (Abecassis et Coutinet 2009, p. 149).
C'est la France qui a le plus contribué à l'analyse de ce type de stratégie. Comme le régime légal d'assurance santé français ne prête pas facilement flanc aux stratégies de fidélisation par le rabais, on y voit plutôt le développement de programmes d'accompagnement à divers traitements. Les autorités françaises ont vite réagi et ont commandé une enquête de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS 2007).
Les pratiques sont apparues en France en 2003 et se sont accélérées à compter de 2006. Une grande partie des programmes d'accompagnement visent des produits injectables avec formation à l'auto-injection. Les programmes peuvent aussi aller plus loin et devenir de véritables programmes d'accompagnement en cours de traitement (disease management). Les pathologies les plus souvent visées répertoriés par l'IGAS sont: la sclérose en plaques, l'hypertension artérielle, le diabète, l'ostéoporose, la polyarthrite rhumatoïde, l'infection au VIH, le surpoids et l'asthme. Les fabricants expliquent leur stratégie par la complexité de la pathologie et son traitement, les interventions à domicile devenues incontournables à la suite du virage ambulatoire et l'amélioration de l'observance du patient.
La forme des programmes: l'expérience canadienne
On observe au Canada l'émergence de stratégies d'accompagnement par des entreprises qui se présentent comme des « navigateurs de soins »4 et qui accompagnent les patients et les professionnels de la santé en cours de protocole de soins faisant appel à des médicaments ou des produits particuliers. Certains distributeurs ou grossistes, actifs depuis longtemps dans la chaîne du médicament, développent de nouvelles lignes d'affaires en offrant une panoplie de services intégrés destinés au patient, au médecin et sa clinique, à l'établissement de santé ou aux pharmacies. Des distributeurs de médicaments s'introduisent dans cette nouvelle ligne d'affaires, notamment la firme McKesson et le distributeur des pharmacies de la bannière Pharmaprix (Shoppers Drug Mart, par le biais de sa filiale Shoppers Drug Mart Specialty Health Network Inc.).
Critiques
L'IGAS s'est montrée très sévère dans ses conclusions en soulignant cinq grandes classes de risques soulevés par les stratégies d'accompagnement des grands laboratoires pharmaceutiques. On craint d'abord que soient mal protégés les droits des patients (sur-médication; protection des renseignements personnels). L'IGAS note que les programmes peuvent court-circuiter le réseau socio-sanitaire et entraîner une confusion des rôles dans l'esprit du patient quant au professionnel responsable du suivi médical. Les programmes contournent la prohibition de la publicité auprès du public et les fabricants se placent ainsi en situation de conflits d'intérêts. Au nom de la défense des intérêts sanitaires du patient, ils poursuivent leur intérêt commercial dans la vente d'un produit. Enfin, le recrutement de clientèles et le suivi à des fins commerciales est contraire, selon l'IGAS, aux exigences des règles professionnelles. Le rapport émet cinq grandes recommandations, dont la principale demande que soit consacré le principe de la prohibition de tout contact direct ou indirect entre un fabricant de médicament et un patient.
On connaît peu de choses de l'accompagnement par des « navigateurs de soins » au Canada. Il soulève toutefois d'emblée d'importantes préoccupations en raison du lien direct entretenu entre la firme qui vend le médicament prescrit et le patient. L'émergence de réseaux parallèles de distribution des fabricants, par le biais d'ententes d'exclusivité avec certaines pharmacies ou distributeurs, soulève en outre des questions d'accès au médicament et de liberté de choix du patient de son pharmacien.
La fidélisation par la compassion: les nouveaux médicaments non approuvés
Le contexte et le produit visé
La troisième catégorie de mécanismes de fidélisation vise les nouveaux médicaments qui n'ont pas encore fait l'objet d'une pleine reconnaissance par les autorités publiques, que ce soit pour leur mise en marché ou aux fins de remboursement par les assureurs. Nous retenons le terme de la « compassion » que les firmes utilisent au Québec pour caractériser ces programmes qui offrent au patient d'obtenir un médicament autrement non disponible.
Les programmes de compassion s'inscrivent dans un contexte où les autorités publiques sont plus prudentes avant d'accepter l'inscription de nouveaux médicaments aux coûts importants, particulièrement pour les médicaments biologiques et oncologiques, pour lesquels les firmes tentent de convaincre les autorités réglementaires que la valeur thérapeutique du produit en justifie le coût. Ces programmes côtoient de nouvelles formes de partage de risque conclues par contrat entre les fabricants et les autorités sanitaires (de Pouvourville 2012). Nous limitons ici la discussion aux programmes du Québec.
La forme des programmes au Québec
Le médicament peut être en attente d'une reconnaissance par les autorités d'homologation de Santé Canada (programme d'accès spécial – PAS, ou programme du Patient d'exception au Québec), ou être en attente d'évaluation par l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS) ou de son approbation par le ministre pour une inscription à la Liste des médicaments. Les programmes de compassion sont aussi parfois offerts pour un médicament dont la reconnaissance est partielle (Liste des médicaments d'exception) ou susceptible d'être rétrogradé de la Liste ordinaire à la Liste du médicament d'exception, ou au mécanisme du Patient d'exception.
Ces programmes sont implantés pendant la période préalable au remboursement du médicament par les autorités publiques ou les assureurs privés. La plupart des programmes fonctionnent sous la dénomination de « Programme d'assistance au processus de remboursement du médicament X® ». Un document du CHUM indique que l'aide financière offerte au patient cesse dès que le médicament est inscrit à la liste des médicaments remboursés (CHUM 2013).
Les programmes touchent surtout les traitements en oncologie, en établissement ou en ambulatoire, ou encore le traitement de maladies rares (souvent génétiques). La promotion est davantage dirigée vers les médecins chez qui on recherche la prescription au médicament.
Certains programmes de compassion exigent une coordination des soins hors réseau, autant pour la livraison du médicament que pour son administration. En effet, le médicament qui n'est pas sur la liste des médicaments remboursés est en principe non disponible dans l'Établissement de santé. Certains auteurs avaient soulevé ce problème de l'accès aux médicaments non remboursés par le régime de l'Ontario, lorsque les patients étaient prêts à se les payer (Flood et Hardcastle 2007). Cette situation n'est pas étrangère au développement par certaines entreprises d'un réseau national de centres de perfusion et d'injection pour certains médicaments au statut de remboursement précaire. Par exemple, on trouve au Québec douze cliniques qui procèdent à la perfusion du Perjeta, pour lequel aucune reconnaissance au remboursement n'est encore acquise. Ces cliniques parallèles peuvent aussi servir à l'injection hors indication de médicaments inscrits à la Liste des médicaments d'exception. Certains programmes conjuguent compassion et accompagnement pour financer une partie du coût d'acquisition et offrir le service de perfusion au patient.
Critiques
Le fabricant offre une aide financière aux médicaments qui ne jouissent pas encore de la pleine reconnaissance afin d'en ouvrir l'accès au patient. Ce mécanisme prépare en même temps le terrain à la reconnaissance en mobilisant professionnels et patients et facilite la pénétration du marché. Comment refuser un médicament expérimental offert gracieusement? La fin du statut précaire d'un médicament et sa pleine inscription à la Liste des médicaments remboursés sonnent le glas du programme de compassion. Ainsi, dès qu'un médicament est approuvé pour fins de remboursement, la RAMQ doit prendre le relais et payer le plein prix pour l'ensemble de la cohorte des patients déjà sous médication.
Le programme exige une gestion administrative importante. Les fabricants offrent une aide au patient qui doit transmettre ses données d'assurance afin d'engager les démarches auprès de l'assureur. Comme l'oncologie représente une part importante du terrain d'application des programmes de compassion, les fabricants proposent maintenant aux hôpitaux de rémunérer les personnes requises pour faire les démarches administratives nécessaires et faciliter l'inscription des patients au programme.
Conclusion
Nous avons distingué trois types de stratégies commerciales de fidélisation des firmes pharmaceutiques dans un contexte de restructuration de l'industrie. Les efforts de promotion des deux premières stratégies, soit la fidélisation par le rabais et la fidélisation par l'accompagnement, sont surtout dirigés vers le patient appelé à prendre une part plus active quant au choix ou à l'administration de son médicament. Parmi les principales réserves ou critiques de ces programmes, figure justement le contournement de la prohibition de la publicité directe au patient ici souvent mise en œuvre par le web. Ces stratégies illustrent bien la diversification des voies de promotion de l'industrie où le médecin n'est plus le seul destinataire principal des efforts de diffusion au Canada et en Europe. Les professionnels ne sont toutefois pas en reste, puisque l'adhésion du patient exige la participation étroite des professionnels de la santé. En outre, l'impact économique de la fidélisation par le rabais démontre que le rabais offert au patient cache une augmentation importante des coûts pour l'ensemble des assurés. La troisième catégorie se distingue de façon importante des deux premières en raison du caractère nouveau du médicament. Les programmes sont surtout dirigés vers les médecins spécialisés afin de favoriser le recrutement de patients.
Les stratégies commerciales de l'industrie pharmaceutique semblent avoir pris de court les politiques publiques du Canada et du Québec sur plusieurs fronts. Certains hésitent à questionner ces programmes puisque, d'une certaine façon, ils offrent un service au patient en réduisant ses dépenses personnelles, en lui offrant des services complémentaires ou encore en lui donnant accès à un médicament autrement inaccessible. La première étape d'une réaction éclairée des pouvoirs publics passe par une meilleure compréhension des logiques et des mécanismes qui animent les trois stratégies commerciales ici présentées. Cette étude se veut une contribution en ce sens.
Three Types Of Brand Name Loyalty Strategies Set Up By Drug Manufacturers
Abstract
The recent restructuring of the pharmaceutical industry has led to three new types of promotional strategies to build patient loyalty to brand name drugs: loyalty through rebates, patient support, and compassion programs. Loyalty through rebates seeks to keep patients on a brand name drug and prevent their switch to the generic equivalent. Loyalty through patient support provides aftersales services to help and support patients (by phone or home visits) in order to improve adherence to their treatments. Finally, compassion programs offer patients access to drugs still awaiting regulatory approval or reimbursement by insurers. When and if the approval process is successful, the manufacturer puts an end to the compassion program and benefits from a significant cohort of patients already taking a very expensive drug for which reimbursement is assured.
The impact of these programs on public policies and patients' rights raises numerous concerns, among which the direct access to patients and their health information by drug manufacturers and upward pressure on costs for drug insurance plans.
About the Author
Marie-Claude Prémont, PhD, Professeure titulaire, École nationale d'administration publique (ENAP), Montréal, QC
Marc-André Gagnon, PhD, Assistant Professor, School of Public Policy and Administration, Carleton University, Ottawa, ON
Veuillez envoyer toute correspondance à l'adresse suivante: Marie-Claude Prémont, PhD; courriel: marie-claude.premont@enap.ca.
Acknowledgment
Nous remercions l'Ordre les pharmaciens du Québec qui a financé en partie la recherche et Johanne Préval, professionnelle de recherche à l'ENAP, qui a participé à la revue de littérature. Nous remercions également les évaluateurs anonymes et les éditeurs de la Revue pour leurs commentaires judicieux et utiles.
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Footnotes
1. C'est-à-dire pouvant bénéficier de la protection du brevet.
2. On parle en anglais de « patent cliff ».
3. Par exemple, en novembre 2013, le Site de RXHelp annonçait que Pfizer se réservait le droit de ne plus rembourser au complet la différence de la co-assurance du patient entre le médicament de marque et le médicament générique.
4. Voir notamment la section « Services spécialisés aux patients » du site web de McKesson: https://www.mckesson.ca/fr/mckesson-specialty (lu le 10 janvier 2014).
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